Un nouveau directeur

[je me permets de te répondre... parce que je m'ennuie en classe ]

Kouritsu… Alors c’est de ça que ça a l’air? Je lance un regard furtif à Jesse. Personne ne nous remarque. – enfin, lui c’est normal – Moi j’ai du me montrer plus prudente. Mon uniforme – que je ne porte que quand je n’ai rien à me mettre – est resté une fois de plus sur mon lit. Pas question que je me fasse attaquer. Ces enfantillages entre écoles sont ridicules, il faut bien l’avouer. Je n’ai rien contre la bagarre, mais seulement si elle a un motif qui en vaut la peine.

-Pourquoi on est ici déjà? je demande à Jesse en murmurant, de manière à ce que personne ne voit mes lèvres bouger.

-Ça te rapproche de ton objectif, me dit-il évasivement.

Mon objectif? Le seul qui soit à même de m’habiter concerne le meurtrier de ma sœur. Je ne vois vraiment pas pourquoi ça aurait un lien avec Kouritsu. À moins que…

-Tu crois que le meurtrier vient d’ici? je lance un peu trop fort.

Il me fait signe de me taire et je remarque que plusieurs personnes ont tourné la tête vers moi. Je fronce les sourcils et reprends ma marche alors que les élèves, qui me prennent sûrement pour une nouvelle, recommencent à m’ignorer. C’est trop surpeuplé ici. Je coupe au milieu du troupeau pour pénétrer dans un couloir plus silencieux, presque vide. Voilà qui est mieux.

-Bon maintenant, explique-moi parce que j’y comprends que dalle.

Jesse soupire et entreprend de me faire comprendre que si on a jamais croisé celui qui a tué ma sœur, c’est qu’on n’a pas essayé partout. C’est vrai qu’on ne l’a vu nulle part en ville. D’après son raisonnement, il veut juste s’assurer qu’il ne soit pas ici, parce qu’on a jamais pensé à vérifier.

-Si je pouvais me rappeler de son nom aussi, ça nous aiderait… je marmonne, l’air agacé.

-À qui parlez vous jeune fille? dit une voix derrière mon dos.

Merde. Lentement, sur mes gardes, je fais un demi-tour sur moi-même et tombe nez à nez avec un homme pas mal plus grand que moi. – du genre je suis un Dieu et je te fais de l’ombre – Le type me toise de haut, les bras croisés sur sa poitrine quatre fois plus large que ma tête. C’est qui cet abruti? Je mordille furieusement mon piercing, essayant de trouver une solution pour me tirer de ce mauvais pas dans lequel Jesse – il faut bien s’en souvenir – m’a fourrée.

-... À toi…

-Je t’ai jamais vue ici toi, dit-il en ignorant totalement ce que je viens de dire.

Je lui tire la langue et lui dis que c’est normal puisque je viens tout juste d’arriver.

-Pas de chance la jolie. Il y a pas de nouveaux qui sont censés se pointer aujourd’hui.

Il me prend fermement par le bras et entreprend de me tirer derrière lui. Bien sûr, je me rebiffe. Pas question que je me laisse faire par ce gros tas de muscles. Je griffe son avant bras, je me tortille pour mordre ses doigts et je lui crie qu’il se trompe. J’essaie d’inventer 1101 mensonges en même temps, aucun ne fait l’affaire. Jesse nous suit, aussi impuissant que moi face à la situation. L’homme me traine jusqu’à une grande porte à laquelle il cogne.

-Entrez! dit quelqu’un à l’intérieur.

Mon bourreau ouvre la porte et entre dans le bureau avec moi. Malheureusement, il referme avant que Jesse ait pu nous suivre. Il me pousse un peu en avant et me lâche. J’en profite pour m’écraser contre un mur, et le fixer de mes petits yeux avec l’air de dire « ose m’approcher encore une fois et je te fais manger ta chaussure » en me massant le poignet.

-J’ai trouvé cette fille dans un couloir. Je crois qu’elle vient de Signaï. Je la soupçonne de faire de l’espionnage. Elle parlait toute seule, probablement qu’elle porte un micro sur elle.

Je roule des yeux. C’est complètement faux. Quel avantage je pourrais tirer à espionner cette école de merde? Je me redresse et croise mes bras sous mes seins. Je n’ai jamais rien entendu d’aussi peu crédible. C’est à ce moment que je remarque l’autre homme dans la pièce. Assit derrière un bureau, avec un air franchement féminin, il nous regarde tout deux avec un regard interrogateur.

Une lueur de défi dans les yeux, je fixe ceux de ce que je soupçonne être le directeur de l'école. Oui, j'ai bien dit "ce" et non "celui" car pour moi, tout ceux qui ne sont pas importants pour moi ne sont que des éléments du décor. Et lui, eh bah c'est juste un élément un peu plus important que certains. Je le vois qui tripote un bijou à son oreille. Parce qu'en plus d'être efféminé ça porte des bijoux… J'ai rien contre les mecs qui s'arrangent, mais avec celui-là, je crains déjà les ennuis alors je ne l'aime déjà pas.

-C'est bon, vous pouvez nous laisser, je vais gerer la situation, merci professeur.

Quoi? Professeur? Parce que cette grosse chose massive est un enseignant? Eh ben… On se croirait dans une prison. J'aurais plus cru qu'il s'agissait d'un golem pour protéger quelque chose. Je n'aimerais pas qu'on m'enseigne avec cette tronche moi. À vrai dire j'aimerais qu'on ne m'enseigne pas tout simplement. La grosse brute sort du bureau et je guette la porte avec insistance. Jesse se faufile le plus vite qu'il peut et va se poster de l'autre côté du local, juste en face de moi. Je le suis des yeux un moment, puis me re concentre sur le directeur quand celui-ci me parle.

-Asseyez vous, je vous en prie. Je suis désolé de l'accueil qui vous a été fait. Je suis Alec Praens, le directeur de cet établissement. Etes vous venue à Kouritsu pour une raison précise, Mademoiselle ?

Je lorgne la chaise avec dédain. Nah. Je préfère rester debout. Je m'avance toutefois et m'appuie sur le dossier du meuble, restant debout, dominant en hauteur l'homme qui lui est resté assit. Je préfère dominer la conversation. Jesse approuve mon initiative. Je me présente à mon tour, mais prends bien soin de lui donner le nom de quelqu'un d'autre. Comme ça, si je dois avoir des ennuis pour être venue ici, ben c'est quelqu'un d'autre qui va les récolter.

-Moi c'est Linh Kameo, je dis sans hésiter un seul instant.

Je lance un rapide regard à Jesse pour qu'il me trouve rapidement un mensonge. En quelques secondes, il a déjà un plan, qui serait avantageux autant pour moi que… bah que pour moi.

-Sers-toi de l'esprit guerrier entre les deux écoles, me souffle-t-il. Fais lui croire que tu veux changer d'école et le rejoindre.

Imbécile. Tu sais déjà que je veux changer d'école. Le problème c'est… Oh… Jesse tu es génial. Je souris et vais finalement m'asseoir dans le fauteuil, prête à discuter.

-Ben l'truc, c'est que Signaï, c'est carrément de la merde. J'en ai plein le cul de cette école de petits snobinards et de gosses de riches. Je peux pas les sentir. Le hic, c'est que ce sont mes parents qui m'ont inscrit là, parce que c'était ce qu'il y avait de mieux pour moi, qu'ils ont dit. J'ai beau leur demander à tous les jours de me changer de place, ils disent toujours non en me vantant encore et encore les mérites de Signaï. Et comme je sais que je pourrai jamais vraiment changer d'école, ben j'étais venue voir ce que je verrais jamais.

C'est à moitié un mensonge. C'est vrai que mes parents ne veulent pas que je vienne ici. Et c'est aussi vrai que je n'aime pas Signaï. Le seul mensonge, c'est la fin. Je le regarde dans les yeux, essayant de voir s'il croit à mon histoire.

Je le vois qui sourit à mon explication, ce qui me rassure grandement. Eh bien je n'ai pas perdu la main pour ce qui est d'enguirlander quelqu'un. Encore que, comment j'aurais pu perdre la main puisque je m'y exerce à tous les jours. Je continue d'observer Jesse, qui me dit que je tiens bien la situation en mains. Je hoche la tête d'un millimètre à peine, pour que lui seul le remarque.

"Depuis combien de temps êtes vous à Signaï, Mademoiselle Kameo ? Je suis très flatté de l'attention que vous portez à mon établissement et je partage votre point de vue sur Signaï, mais vous me semblez être en fin de formation, non ? Vous serez de toutes façons bientôt débarassée de Signaï alors pourquoi venir visiter Kouritsu maintenant ?"

Je sursaute d'abord quand il prononce mon faux nom que j'ai donné un peu plus tôt. Mais on peut aussi mettre ça sur le fait qu'il vient de commencer à parler. Il est donc possible que j'aie sursauté. J'ai toujours un peu de mal à me faire aux pseudos noms que je donne. Il faudrait que je songe à toujours garder le même. Et de préférence pas celui de Linh, parce que si elle l'apprend, je ne crois pas qu'elle serait très contente. La prochaine fois je devrais plutôt donner celui de cette poupoune du cours d'art dramatique. Elle mériterait plus que Linh que des ennuis lui retombent sur la tête.

-Signaï me rend malade m'sieur. Je suis réellement au bord de tout jeter au bout de mes bras. Je trouve plus intelligent de changer d'école près de la fin que d'abandonner carrément… Tu ne voudrais quand même pas que je me retrouve avec une scolarité incomplète..?

Okay, je lui joues le grand jeu. Et alors? Jesse a l'air de trouver que j'en mets un peu trop vu le fait que je sais déjà que mes parents ne me changeront jamais d'école, peu importe les arguments que je leur fournirais.

"Si vous souhaitez toujours visiter les lieux, je peux vous accompagner, et vous montrer les salles communes... même si je n'en vois pas l'interet... Mais je suppose que l'accueil auquel vous avez eu droit vous a fait changer d'avis..."

-L'accueil? – je souris, amusée – Non au contraire. C'est assez original. C'est pas comme là bas où on te prend par la main pour te guider gentiment dans les sentiers battus par 1101 personnes avant toi. Mais la visite servirait pas à grand-chose, je crois avoir vu tout ce que j'avais à voir.

Un petit silence s'installe. Je croise et décroise mes bras, mes jambes. Je tortille mes cheveux, l'ennui commençant à me gagner. D'ailleurs, Jesse me souffle que je devrais trouver une raison pour partir si je ne veux pas avoir d'ennuis.

-Bon ben… C'est pas tout ça mais j'ai cours dans… - je regarde ma montre - … Oh… Ben faut croire que mon dernier cours de la journée est déjà fini. – je souris, embarrassée cette fois – En tout cas, tu dois avoir une tonne de boulot alors je te dérangerai pas trop longtemps.

Je l'écoute calemement mais il y a plusieurs choses qui me dérangent dans son discours... Tout d'abord il me semble evident qu'elle me ment. Mais pourquoi ? Suis-je censé la jeter au feu parce qu'elle vient de Signaï ? C'est une élève tout de même... Pourtant, il est evident qu'elle en fait trop...

Je glisse distraitement mes doigts sur ma boucle et active ma magie. La température de la pièce augmente peu a peu pendant qu'elle parle. Je veux savoir comment elle va réagir à cette menace.

Elle contine à parler et voilà qu'elle se met à me tutoyer. Je fronce les sourcils quelque peu gêner par cette liberté qu'elle prend. La température augmente encore. Il fait comme un été chaud pour le moment.

Ce qui me déplait le plus, c'est son regard qui part toujours derrière moi régulièrement. Quand elle commence à vouloir partir - fuire serait le mot le plus approprié - je m'accoude sur le bureau en m'avancant un peu plus vers elle. Je vois la sueur commencer à perler sur son front. Mon regard se durcit et je la fixe un instant.

"Que regardez vous derrière moi, Mademoiselle ?"

Mon ton est dur, elle n'a pas intérêt à essayer de me rouller, je ne suis pas aussi naïf que je le laisse croire.

Pendant que je lui expliquais, j'avais remarqué qu'il faisait de plus en plus chaud. Bah et alors ? Ça arrive. Peut-être que c'est l'excès de mensonges qui me fait cet effet. Mais quand je me tais, je ressens presque perler de la sueur à mon front. Je reprends, prétextant un besoin urgent de partir. Je me tortille sur ma chaise. J'ai l'impression qu'on est en plein été et j'ai mon débardeur qui me colle dans le dos.

"Que regardez vous derrière moi, Mademoiselle ?"

Je me raidis et me retiens pour ne pas regarder Jesse, mais j'ai l'impression que mon regard n'arrête pas de fuir dans sa direction. Je me mords la lèvre. Essayant de trouver une idée rapidement. Je pourrais être totalement fascinée par ce tableau non ?

-Il a activé son élément, me souffle Jesse.

Mon regard part de Jesse au directeur, puis du directeur à lui. Donc le directeur de Kouritsu est un élémentaliste. Je n'étais pas au courant. Sans doute parce que ça me passe dix pieds au dessus de la tête. Mais je peux toujours faire jouer ça en ma faveur. En cas de problème, j'improviserai quelque chose, je me dis en regardant les nombreux bijoux sur mon poignet.

-Ça, je dis en pointant le tableau sur le mur. J'en avais un pratiquement identique dans ma chambre quand j'étais plus jeune. Mais nous nous le sommes fait voler.

-Espérons qu'il gobera, me souffle Jesse.

Sa réponse ne me satisfait pas du tout. Je fronce les sourcils puis reprends un visage neutre. Et, d'une voix très calme, ma réponse tombe, froide, nette, comme un couperet, montrant que j'ai repéré son mensonge:

"Tous les tableaux de cette pièce ont été peints par moi, Mademoiselle."

Je la fixe attentivement et la température augmente encore. Je n'en suis pas affecter, mais elle doit commencer à se sentir très mal à l'aise... Elle doit même étouffer sous la chaleur et la pression que celle ci dégage. Elle s'est foutu de moi.

Si elle veux sortir de cette ambiance lourde, elle devra me répondre. Elle a interet à ce que sa prochaine réponse me satisfasse. Mon regard se fait dur mais pas menacant... Je n'ai pas besoin d'être menacant, la chaleur l'est pour moi. D'un ton glacial, je reprends la parole.

"Dois-je répéter ma question, Mademoiselle ?"